Cybercriminalité Les témoignages se succèdent, qui racontent la plongée en enfer des victimes. Il est très simple d’usurper une identité.

Le Matin15 mai 2016Elisabeth Eckert elisabeth.eckert@lematindimanche.ch

Sans devenir totalement paranoïaque, il n’est pas inutile de consulter régulièrement les communications faites tant par le Service national de la lutte contre la criminalité sur Internet, dépendant de l’Office fédéral de la police (FedPol) que par la Centrale d’enregistrement et d’analyse pour la sûreté de l’information MELANI*.

Pour preuve: l’une des toutes dernières arnaques en vogue frappe carrément… FedPol elle-même. Le SCOCI a ainsi été alerté que des cybercriminels envoyaient des courriels au nom de l’Office fédéral de la police, avec en-tête et pseudo-numéro de dossier. Dans ces e-mails, les destinataires sont avertis «qu’une procédure juridique a été ouverte à leur encontre». Les victimes de ce phishing très culotté sont appelées à se rendre sur un site Internet dont le lien est indiqué dans le message, afin de fournir toutes les informations nécessaires au procès, faute de quoi le tribunal se prononcera sans l’avis du soi-disant prévenu… 60% des délits sur Internet Outre la recherche des hackers, FedPol et le SCOCI ne peuvent, en l’état, rien faire d’autre que d’informer très vite des dernières escroqueries connues et d’enjoindre les Suisses à ne jamais répondre, par e-mail ou par téléphone, à des demandes d’informations personnelles. Car c’est ainsi que se produisent la plupart des usurpations d’identité, un phénomène en hausse de 40% par an, selon les études, et qui permet 60% des délits causés via Internet.

Sylvain Briant et son épouse, Viviane, résidant à Annecy, viennent d’en témoigner dans un livre, «On a volé mon nom!». La der de couverture résume à elle seule le drame vécu par ce spécialiste en informatique de France voisine et, partant, par toute sa famille. «Une simple lettre a bouleversé ma vie, de fond en comble, raconte-t-il. Quelques mots sur une feuille ont ruiné à la fois ma vie personnelle, professionnelle et financière. J’ai tout perdu en quelques mois, l’usurpation ne m’a pas pris que mon nom, elle m’a pris ma joie de vivre, (…), mes projets, mon travail, mes amis et mes économies.» Ce dernier dé- J’ai tout perdu en quelques mois. L’usurpation ne m’a pas pris que mon nom, elle a pris ma joie de vivre, mon travail, mes amis et mes économies Sylvain Briant, 35 ans, habitant d’Annecy (France voisine) Décrit de façon poignante sa descente aux enfers, qui a duré cinq ans – entre 2011 et 2015 –, due à l’escroquerie dont il a été victime, et son combat kafkaïen, «pour prouver, tant à l’organisme de crédits qui me poursuivait sans relâche qu’à d’autres pauvres victimes de ce criminel, que je n’avais ni contracté cet emprunt de 10 000 euros, ni détourné des cautions pour des appartements fictifs». Comment, pour le coup, cet expert en technologie numérique s’était-il fait arnaquer? Ce n’est qu’après une très longue enquête qu’il a découvert s’être fait harponner par l’e-mail d’un pseudochasseur de têtes qui l’aurait repéré «pour un poste pouvant l’intéresser à l’étranger» et qui lui demandait de plus amples informations, tel un justificatif de résidence ou une photocopie de son passeport. Or, en France, ces deux seules pièces suffisent encore à ouvrir des comptes bancaires en ligne ou à souscrire un emprunt auprès d’un établissement de crédits. Dans ses toutes dernières mises en garde, FedPol prévient d’ailleurs contre une recrudescence des arnaques au recrutement.

Henri Della Casa, porte parole du Ministère public genevois, nous confirme le dur combat que doivent mener les victimes: «Dans les cas en notre connaissance, ces dernières ont souvent dû batailler pendant plusieurs mois, notamment auprès des opérateurs télécoms.» Car, outre la nécessité d’apporter les preuves de leur innocence, elles ne savent souvent pas pour quel délit porter plainte. Et pour cause. En Suisse, l’usurpation d’identité n’est pas constitutive d’une infraction pénale en tant que telle. «C’est l’utilisation qui en est faite qui peut tomber sous le coup de la loi», ajoute Henri Della Casa. Or cette dernière peut couvrir un très large éventail, du faux dans les titres à l’atteinte à l’honneur, en passant par les infractions financières ou la dénonciation calomnieuse. * www.melani.admin.ch et www.cybercrime.admin.ch/kobik