Transformation digitale

Ubérisation, la disruption qui en fait trembler plus d’un

Retour sur le phénomène économique du moment qui contraint les entreprises à se réinventer

uberisation

par Nicolas Sanson, pour Le nouvel Economiste

« Tout le monde a peur de se faire ubériser ». C’est en fait en ces termes que Maurice Lévy, patron de Publicis, évoque le phénomène de l’ubérisation dans les colonnes du Financial Times. Peur sur les entreprises ? Sûrement. Néologisme en vogue, qu’est ce que ce concept ? « C’est l’idée qu’on se réveille soudainement en découvrant que son activité historique a disparu », décrit le publicitaire français. Du nom de la société californienne Uber – société de chauffeurs privés concurrente des compagnies de taxis – l’ubérisation éclaire l’émergence exponentielle de nouveaux «acteurs de la périphérie » comme Airbnb dans l’hôtellerie, Lending Club dans le crédit ou Drivy dans la location de véhicules.

“Néologisme en vogue, qu’est ce que ce concept ? «C’est l’idée qu’on se réveille soudainement en découvrant que son activité historique a disparu»”

L’essor du numérique, couplé à une exigence croissante du consommateur, a favorisé l’émergence de nouveaux services innovants à la fois très compétitifs et parfois de meilleure qualité. Commander un chauffeur à trois heures du matin avec son mobile, louer un appartement d’une simple pression sur son smartphone ou obtenir un prêt sans se déplacer, tout cela est désormais possible. Instantanéité de l’analyse de données, plateformes web, dématérialisation, désintermédiation sont les leviers d’une nouvelle génération d’entrepreneurs décomplexés. Ces « disrupteurs » entreprennent à coups d’innovations technologiques en répondant aux imperfections du marché et en faisant fi des offres et des règles en place. Les acteurs historiques ont raison de trembler. Ils voient leur marché fondre comme neige au soleil et pour beaucoup leur rente menacée.

La prise de conscience de la menace «Uber»

La Jacquerie ne cesse de prendre de l’ampleur. Le péril de l’ubérisation est si fort qu’il est désormais le problème numéro 1 d’une grande partie des dirigeants. Désorientés et très inquiets au sujet de leur marque et de leur modèle économique, ils sont contraints de réfléchir à une parade pour ne pas se faire « désintermédier » et ainsi perdre la relation avec leur client. Bruno Teboul, coauteur d’Ubérisation = économie déchirée ? * déclare : « Poussé à l’extrême ce mouvement devrait à terme balayer toutes les industries. Tous les secteurs vont se retrouver vampirisés, dépossédés, siphonnés ». Avec « l’ubérisation de l’économie », une partie des grandes entreprises devraient être rayées de la carte prédisent déjà les Cassandre.

“Poussé à l’extrême ce mouvement devrait à terme balayer toutes les industries. Tous les secteurs vont se retrouver vampirisés, dépossédés, siphonnés”

La contre-attaque? Se repenser et intégrer des nouveaux services. La prise de conscience est en marche mais les chefs d’entreprises sont confrontés à un dilemme: conserver leur activité en se contentant d’innovations incrémentales ou se démarquer avec des innovations de rupture ? Devoir choisir entre un passé immuable ou se tourner vers un avenir incertain, voilà le programme. Clayton Christensen, professeur à Harvard résume: « Embrasser la rupture, c’est tuer son activité sans garantie de réussir dans la nouvelle activité mais ignorer la rupture c’est aller à une mort certaine à moyen terme ». La fortune sourit aux audacieux.

Favoriser un écosystème de start-up innovante

Il ne suffit pas d’innover ou d’anticiper la rupture pour maintenir son activité. L’avenir est ailleurs, Kodak peut en témoigner. Ancien leader de la photographie argentique, le groupe américain n’a pas été capable d’investir dans le numérique. Pour Bruno Teboul, « la priorité pour lutter efficacement contre l’uberisation est de financer les start-up ». L’innovation ouverte au côté de jeunes pousses permet de combler les lacunes du développement et de la R&D traditionnelle qui peinent à suivre le rythme effréné des marchés. Les entreprises ont tout à gagner à s’appuyer sur le sang neuf de jeunes entrepreneurs et leurs nouvelles façons de faire.

“d’abord construire des clusters avec des grandes écoles, universités, laboratoires de recherche, start-up, ensuite assurer les ressources pour financer, irriguer, donner du sens à cette innovation”

Au final, la métamorphose se fera grâce à un écosystème amical et protecteur de start-up innovantes. Voilà pour le principe. Reste à hisser l’intention à la hauteur des ambitions. Bruno Teboul vante les vertus du modèle californien : « d’abord construire des clusters avec des grandes écoles, universités, laboratoires de recherche, start-up, ensuite assurer les ressources pour financer, irriguer, donner du sens à cette innovation». Cela passe par le financement d’initiatives non pas en centaine de milliers d’euros comme en France aujourd’hui mais à hauteur de dizaines voire centaines de millions d’euros comme aux Etats-Unis ou en Asie. Bref, il conviendrait d’accélérer. Préparer l’avenir c’est bien, s’en donner les moyens c’est encore mieux.

* Bruno Teboul et Thierry Picard, «Ubérisation = Economie déchirée», Editions Kawa, Mai 2015

Source : Le nouvel economiste